– Steven Spielberg ; 2018 –

Infatigable. Serait-ce le meilleur mot pour caractériser Steven Spielberg ? Le cinéaste fait (déjà) son retour dans les salles avec Ready Player One, projet sur lequel il travaillait depuis déjà plus de deux ans. Déclaration d’amour absolue envers la pop culture, le roman éponyme d’Ernest Cline (que l’on retrouve en tant que co-scénariste du film) ne pouvait pas trouver meilleur metteur en scène que celui derrière E.T. L’extraterrestre, Jurassic Park ou encore La Guerre des Mondes.

De Pentagon Papers à Ready Player One, il y a un changement d’échelle majeur : du film historique intimiste (et à « petit » budget – cinquante millions de dollars, tout de même !), Spielberg revient au blockbuster et montre qu’il n’a toujours pas perdu la main. Mieux encore : le réalisateur transcende l’œuvre originale (qui ne manquait pas de lui rendre hommage) et illustre le pouvoir rassembleur d’une culture dite de masse et les aspirations qu’elle suscite. Derrière Ready Player One repose la question de la création artistique, de nos modèles et de nos inspirations, mais surtout de la manière dont nos références et notre culture peuvent raconter une part de nous mêmes.

2045. Le monde est au bord du chaos. Pour oublier les inégalités grandissantes, les humains se réfugient dans l’OASIS, un monde virtuel créé par le brillant et l’excentrique James Halliday. Avant de mourir, ce dernier a pris le soin de léguer des indices menant à un Easter egg caché, laissant au joueur qui le trouvera une immense fortune et le contrôle total de l’OASIS. La compétition est lancée. Dans son bidonville, le jeune Wade Watts est prêt à tout pour l’emporter… au péril de sa vie.

Abolir la frontière entre les mondes

Vous souvenez-vous de Second Life ou du PlayStation Home ? L’OASIS, c’est à peu près ça : un jeu vidéo massivement multijoueurs, où tout le monde est libre d’y accomplir tout ce qu’il souhaite et d’y paraître sous n’importe quelle forme (abolissant ainsi tout critère de genre, d’origine, et consorts), dans un univers sans limites (prends ça, No Man’s Sky). Bref, il suffit d’enfiler un casque pour vivre une nouvelle vie. Il n’est donc pas surprenant de voir que la grande majorité de Ready Player One se déroule dans cet univers virtuel : Steven Spielberg retrouve ainsi l’animation en images de synthèse et la capture de mouvements, qu’il avait intégralement utilisé pour Les Aventures de Tintin : le Secret de la Licorne, il y a déjà maintenant sept ans.

À l’heure où les jeux vidéo impressionnent en raison des avancées technologiques, qui les rendent de plus en plus immersifs, l’univers vidéoludique de Ready Player One rayonne par sa grande variété de décors. La caméra de Steven Spielberg s’affranchit alors de toute contrainte technique et se voit encore plus libre dans ses déplacements : l’intense course-poursuite introductive dans les rues d’un Manhattan fantasmé rappelle sans conteste celle qui se déroule dans le Maroc fictif de Tintin. S’il est un espace de liberté pour le joueur, l’OASIS est aussi le terrain de jeu idéal de Spielberg, qui délivre à nouveau des moments d’anthologie tels que la bataille finale, où héros de la pop culture s’affrontent pour l’ultime épreuve d’Halliday.

Warner Bros. Pictures

À d’autres moments, Ready Player One abolit complètement la frontière entre le virtuel et le réel : notamment lorsqu’il propose à son personnage principal de revisiter les souvenirs de James Halliday de manière totalement libre. Ces moments de vie projetés peuvent être décortiqués dans le moindre détail : Wade peut changer d’angle de vue, faire un gros plan, explorer chaque seconde de la vie d’Halliday. Le résultat est impressionnant de maîtrise technologique, alors même qu’il ne concerne que quelques secondes de film. La notion de cadre se rompt et laisse entrevoir ces scènes comme si vous étiez là, dans la pièce, à observer.

Vivre dans d’autres univers : c’est le cœur du sujet. Mais que se passe-t-il dans le monde réel lorsque l’on reste la majeure partie de son temps dans l’OASIS ? Dans sa quête de l’easter egg, Wade ne sait pas qu’il fait face à plus fort que lui… en apparence, seulement.

Créer sa propre histoire

Virtuellement, Wade est connu sous le nom de Parzival. Entouré de ses amis, parmi lesquels figure Art3mis, l’une des meilleures joueuses de l’OASIS, il s’embarque pour une aventure qui l’amènera à revisiter les souvenirs bruts d’Halliday, mais aussi ceux qu’il associe à une référence culturelle : une chanson, un film, un jeu vidéo… Les références aux années 80 et 90 pleuvent, mais pour une bonne raison, qui est de servir l’histoire, comme elles le font dans le roman. Ces emprunts à répétition étaient l’une des plus grandes craintes de cette adaptation, à l’image de la série Stranger Things, qui cultive un certain esprit de nostalgie. Les références aux années 80, ce serait un peu comme un doudou que l’on nous tendrait pour nous dire « hé regardez, c’était vachement mieux avant non ? ». Dans la création des fêtes Duffer, ces clins d’œil sont disposées de manière gratuite dans la mise en scène et n’ont pas vraiment d’incidence dans le scénario, ce qui est donc tout le contraire de Ready Player One.

Qui dit adaptation cinématographique dit également questions de droit : le film étant distribué par Warner Bros, on aurait pu s’attendre à un catalogue de licences détenues par le studio (salut, le Géant de Fer), comme cela a pu être le cas dans Lego Batman. Si l’on peut apercevoir brièvement un King Kong ou bien le Joker, d’autres univers parviennent à s’immiscer dans l’OASIS, parmi lesquels figurent des licences phares du jeu vidéo actuel comme Overwatch. Un travail d’orfèvre pour Ernest Cline qui a dû réactualiser son scénario et ses easter-eggs pour le grand écran. Les trois épreuves auxquelles doivent se confronter nos héros ont beau changer de celles du roman, l’auteur parvient tout de même à conserver l’esprit de cette quête et son aspect énigmatique pour la recentrer davantage autour du personnage de James Halliday et de son avatar, Anorak.

Warner Bros. Pictures

Ready Player One raconte comment des laissés pour compte peuvent avoir le pouvoir de changer les choses. Comment leur avatar leur confère des capacités dont ils ne bénéficient pas dans le monde réel. Comment celles-ci leur servent face à ceux qui se dressent en travers de leur chemin : la multinationale IOI, dont le machiavélique chef Nolan Sorrento (incarné par Ben Mendelsohn) cherche à se sauver de la faillite. Les rares incursions dans le monde réel suffisent à se rendre compte du fossé qui sépare Wade et ses amis de Sorrento et ses sbires, véritable armée prête à en découdre. David contre Goliath 2.0 ?

Il y a quelques imperfections, comme des facilités de scénario ou des personnages un peu effacés (Daito et Sho sont beaucoup plus développés dans le roman) au profit du trio Parzival/Artemis/Aech, ou encore une contre-performance d’Alan Silvestri à la musique (qui manque de réelles envolées épiques). Ceci n’enlève rien à la maestria de Spielberg et du pouvoir créatif de sa mise en scène, porteuse idéale du message de l’œuvre : notre culture définit qui nous sommes, elle nous permet aussi de fuir la réalité, mais il ne faut pas pour autant l’oublier. La notion de communauté, au centre de Ready Player One, suscite le rôle de la transmission, de l’héritage que nous laissons à ceux qui nous qui nous suivront. Le risque de voir sa création dépossédée et partir dans des directions que l’on n’aurait pas forcément souhaité aussi. À l’image d’un film qui, une fois achevé, vit de ses spectateurs et de leurs interprétations. Tout objet, un jour ou l’autre, échappe à son créateur.

Gabin Fontaine

5/5 (1)

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