– David Lynch et Mark Frost ; 1990 –

Twin Peaks fait son grand retour aujourd’hui sur la chaîne Showtime. Le dernier épisode de la saison 2 avait été diffusé il y a plus de vingt-cinq ans, le 11 juin 1991 plus précisément. Chez certains, l’attente pleine de nostalgie est présente depuis plus d’un an. Mais pour ceux qui ne connaissent pas le bijou de David Lynch, Scotchés vous livre quelques éléments pour vous donner envie (ou pas) de découvrir cet objet télévisuel non identifié.

En fait, c’est quoi Twin Peaks ?

Twin Peaks, c’est d’abord un nom : David Lynch, célèbre cinéaste est co-créateur de la série avec Mark Frost dont les deux saisons sont diffusées sur ABC entre 1990 et 1991. Littéralement, Twin Peaks est surtout une ville, totalement imaginaire, située dans l’État de Washington, sur la côte Est des États-Unis. Le pitch de départ est banal, il pourrait presque ressembler à celui de n’importe quelle autre série policière : Laura Palmer, une lycéenne populaire, est retrouvée morte emballée dans un sac plastique sur la berge d’une rivière. Glauque oui, mais pas forcément original.

Et pourtant. Au fil des épisodes, on suit l’avancée de l’enquête de Dale Cooper, un agent du FBI interprété à merveille par Kyle MacLachlan (Desperate Housewives). À ses côtés, le téléspectateur découvre que Laura Palmer avait de nombreux secrets, tout comme les autres habitants de cette petite et mystérieuse ville. Enquête angoissante, humour absurde, à mi-chemin entre le rationnel et le surnaturel, Twin Peaks s’impose comme une révolution télévisuelle.

© Marc Hom Wardrobe

Un nom : Dale Cooper

Attention, Twin Peaks n’est pas une comédie pure. C’est un véritable mélange des genres, réussi en général. Le téléspectateur peut ainsi suivre un feuilleton policier classique, retrouver un genre fantastique, ou même savourer les moments très « teen-movie », vécus par des lycéens chamboulés par la disparition de Laura Palmer. Sans oublier les effets de montage et décors kitschs à souhait ainsi que des dialogues souvent naïfs qui sonnent comme une vraie parodie des Feux de l’Amour. Une multitude de registres dominés par une caractéristique qu’il est impossible de rater : l’humour souvent absurde propre à la série. David Lynch a su poser sa patte, avec cet esprit décalé et ce brin de folie qu’on retrouve chez la majorité des personnages du show.

Commençons par Dale Cooper, un agent spécial du FBI, vraiment très… spécial. C’est le personnage principal de la série, celui auquel le téléspectateur peut s’identifier. Un homme qui a ses méthodes et surtout quelques passions inattendues, qui lui donnent ce côté excentrique. Ses lubies sont simples : « a damn fine cup of coffee » et des pâtisseries, les donuts composant son grand péché mignon. « Diane, if you ever get up this way, that cherry pie is worth a stop » sont les mots prononcés par Dale Cooper dès le premier épisode de la série, vantant les mérites du délicieux dessert du Double R. L’agent s’adresse régulièrement à Diane à l’aide de son dictaphone. Qui est Diane ? Sa secrétaire, son alter-ego ou tout simplement son enregistreur, la série ne nous donne pas la réponse, ce qui fait aussi son charme. Mais pour en revenir aux pâtisseries, Cooper se délecte à chaque fois de la fameuse tarte à la cerise servie au Double R Diner. Ce gimmick va le conduire à une histoire d’amour avec Annie Blackburn (Heather Graham), serveuse dans ce café.

© American Broadcasting Company (ABC)

L’absurde va encore plus loin quand il s’immisce dans l’enquête sur la mort de Laura Palmer. Dans le 1×03 intitulé « Zen or the skill to catch a killer », notre agent FBI préféré dévoile à ses nouveaux collègues ses méthodes d’investigation, venues tout droit du Tibet. En plein milieu de la forêt, Cooper leur donne un rapide cours d’histoire tibétaine, mais leur révèle surtout une technique infaillible (selon lui) pour découvrir l’identité du meurtrier. Elle est simple : le shérif doit citer le nom d’une personne et la nature de sa relation avec Laura Palmer, après quoi Cooper répète le nom et lance une pierre vers une bouteille en verre placée sur un tronc d’arbre un peu plus loin. Il peut toucher la bouteille, mais aussi la casser, un détail « très important » répète-t-il comme habité par sa démonstration. Une scène qui rend la réceptionniste Lucy totalement euphorique, alors que le shérif et ses adjoints sont surpris mais fascinés par l’assurance de Cooper. Un moment abracadabrantesque dont seul Twin Peaks a le secret.

« A fish in the percolator »

Vous l’aurez compris après cette brève présentation de l’agent Dale Cooper : Twin Peaks est marquée par l’humour et un sens de l’absurde ultra-développé. Dès le premier épisode, le ton est donné. Le shérif et Cooper rendent visite à Peter Martell, l’homme qui a découvert le corps de Laura Palmer. Les deux hommes sont prêts à déguster leur café, avant de se faire interpeller par Peter qui leur dit de ne surtout pas le boire. Pourquoi ? « There was a fish…in the percolator », lance-t-il avec un visage d’illuminé. Un poisson dans un percolateur…la scène ne dure que trente secondes mais suffit au téléspectateur pour comprendre qu’il n’est pas tombé devant une série comme les autres.

Quasiment chaque personnage a ses moments gênants, ses attitudes incompréhensibles, ce qui permet à la série de s’en amuser. Twin Peaks reprend les codes du teen movie avec le couple Donna/James. La première était la meilleure amie de Laura Palmer, le second était son petit copain secret : ce qui provoque la naissance d’une histoire d’amour entre les deux ados, donnant lieu à des scènes d’une niaiserie sans nom. Perturbés par le sombre meurtre de leur amie, les deux protagonistes se créent des personnalités extrapolées : Donna rêve de ressembler à la défunte Laura et James essaie de jouer les durs sur sa grosse bécane. À côté de ces tourments adolescents, Twin Peaks c’est aussi l’occasion de voir les débuts de David Duchovny (X-Files, Californication) à la télévision, qui campe le rôle d’un travesti qui aime se faire appeler Denise. Déjanté on vous dit.

© American Broadcasting Company (ABC)

Du rêve au fantastique : la patte Lynch

Le rêve est encore une fois au cœur du processus créatif de David Lynch, comme dans son film culte Lost Highway. Dans Twin Peaks, dès le troisième épisode, le rêve occupe une place importante dans l’enquête menée par Dale Cooper. Tout au long de la série, l’agent du FBI a une connexion avec un monde parallèle, insaisissable et intriguant. Dans son rêve, Cooper se retrouve dans une grande pièce rouge vingt-cinq ans plus tard, assis face à Laura Palmer. On parle aussi de la « Black Lodge » : cet endroit presque surnaturel, dans lequel Cooper croise des personnages atypiques dans des scènes surréalistes. On pense notamment au nain dansant, « l’homme venu d’ailleurs » (Michael Anderson) qui ne peut laisser les téléspectateurs insensibles.

La Black Lodge est initialement une légende pour les habitants de Twin Peaks, qui s’avère être tout sauf une petite ville sans histoire. Chaque personnage a sa part de noirceur à commencer par Laura Palmer. Au fil des épisodes, le téléspectateur comprend qu’elle était loin de correspondre à cette image d’adolescente parfaite. La ville semble hantée par des esprits maléfiques et les personnages guidés par des croyances magiques capables de dicter leurs actes. Les phénomènes étranges et intrigants sont nombreux : le nain dansant, le Géant et son message « les hiboux ne sont pas ce que l’on pense », la dame à la bûche connectée aux esprits de la forêt ou encore l’apparition d’un grand cheval blanc face à Sarah Palmer, la mère de Laura. Amateurs de David Lynch, vous vous en doutiez : tous les mystères ne sont pas résolus dans la série. Encore une fois, le réalisateur aime laisser au téléspectateur une grande liberté d’interprétation, comme s’ils étaient eux-mêmes emportés dans leurs propres rêves.

Bob, l’esprit Twin Peaks

Être maléfique par excellence, Bob est fascinant jusque dans le choix de son rôle dans la série, qui renvoie au côté absurde du show. Pour cause : ce personnage ne faisait pas partie du scénario d’origine imaginé par David Lynch et Mark Frost. Bob est né d’une erreur de tournage : dans le premier épisode, le décorateur Frank Silva se retrouve coincé dans la salle et apparaît dans le champ. Rebelote dans une autre scène : il apparaît dans un miroir face à Sarah Palmer par erreur. David Lynch est conquis : Frank Silva tiendra le rôle de Bob, un des personnages les plus mystérieux du show.

© American Broadcasting Company (ABC)

Bob fait partie intégrante de l’aspect fantastique de Twin Peaks, son personnage intrigue et angoisse le téléspectateur. Qui est Bob ? Un homme ayant déjà existé ? Un fantôme maléfique hantant la petite ville de Twin Peaks ? En tout cas, pas un protagoniste comme les autres, mais plutôt un esprit, une hallucination. Il est lié à la Black Lodge et à ses différents esprits. Ses apparitions sont souvent terrifiantes, puisqu’il peut prendre le contrôle d’un être humain, la famille Palmer peut en témoigner…Il va marquer les fans de la série jusqu’au cliffhanger final, effrayant et tragique. Bob sera-t-il de retour dans Twin Peaks en 2017, et sous quelle forme ? Frank Silva est malheureusement décédé en 1995, mais on connaît la capacité de David Lynch à nous surprendre.

Twin Peaks a marqué toute une génération et s’est imposée comme la série référence des années 1990. Elle a proposé un genre nouveau en provoquant une révolution télévisuelle : il était possible de « faire des séries » autrement. X-Files (1993) comme Lost (2004) se sont inspirées de la création de David Lynch et Mark Frost pour se lancer à la télévision, auréolés d’un succès notoire. Ce retour va-t-il tenir ses promesses ou ternir l’image de Twin Peaks?  La réponse arrivera dès aujourd’hui sur les écrans américains, alors qu’il nous faudra attendre le 25 mai pour voir les deux premiers épisodes sur Canal +. Beware, vingt-cinq ans se sont écoulés et Laura Palmer n’a pas fini de nous hanter.

Clément Gavard

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