– Radu Mihaileanu ; 2011 –

Film plus actuel encore qu’au moment de sa sortie, La source des femmes naît autour d’une « grève de l’amour ». Forcées d’aller chercher l’eau potable dans de pénibles conditions, les femmes d’un petit village au milieu du désert décident, en entamant une grève du sexe, de pousser les hommes à agir pour améliorer leurs conditions de vie. Cette lutte pour l’amélioration du quotidien se double d’un légitime désir de reconnaissance des femmes dans une société patriarcale.

« Cela ne se passe pas à la cour d’un sultan mais dans un petit village d’un pays du Maghreb ou de la péninsule arabique… Où ailleurs, où coule une source d’eau où l’amour se tarit ». C’est à la lecture de ces mots que s’ouvre le film, dont le cadre spatial volontairement flou permet de désigner une réalité encore largement répandue : celle du manque d’accessibilité à l’eau potable. En effet, si d’immenses progrès ont été faits dans ce domaine, 750 millions de personnes dans le monde n’avaient toujours pas accès à cette ressource essentielle en 2015. Cette difficulté d’accès est accrue dans les espaces marqués par l’aridité tels que le « Maghreb ou la péninsule arabique » et semble, bien souvent, être plus rude pour les femmes, traditionnellement chargées des tâches domestiques. C’est donc une communauté de femmes qui va mener  la lutte sociale et politique présentée dans l’œuvre, sous l’égide de Leila. Mariée à l’instituteur du village, Sami, elle est la seule sachant lire et écrire, et ces armes intellectuelles sont autant de forces mobilisées à bon escient dans son combat pour l’eau et la reconnaissance sociale. Toutes les villageoises ne répondent toutefois pas unanimement à son désir de changement, à commencer par sa belle-mère… Dans une société où la faute d’un individu rejaillit sur l’honneur de toute la famille, la pression sociale inhibe toute prise de risque. Dans ce contexte où les bouches peinent à parler, les corps deviennent les supports d’un langage du refus. Pour éviter à l’amour de se tarir, il faudrait aux hommes considérer davantage les souffrances de leurs compagnes. En seront-ils capables ?

La métaphore de la sécheresse traverse toute l’œuvre et fait correspondre l’aridité du désert au manque de compassion, d’amour et de reconnaissance des hommes. Bien souvent, les mariages sont arrangées et illustrent la domination des hommes sur les femmes. Cette domination est structurelle : on la retrouve dans tous les aspects de la vie sociale, comme le travail ou la sociabilité. Alors que les femmes sont en charge du foyer, le travail relève des devoirs masculins… mais l’aridité rend toute agriculture impossible et le chômage sévit. C’est donc une oisive sociabilité qui permet aux hommes de passer leur journée sur la terrasse du café, tandis que les femmes accomplissent collectivement les tâches qui leur incombent et se retrouvent parfois au hammam pour se reposer. Les sphères masculine et féminine se distinguent donc fortement l’une de l’autre. Cette partition de l’espace est à la fois cause et conséquence du manque de dialogue entre les sexes. Pour s’exprimer, les villageoises usent donc de subterfuges : elles se font comprendre collectivement, en chantant. Alors que les plus jeunes hommes, comme Sami et Karim, tendent à soutenir les revendications, les plus vieux voient dans ces volontés une émancipation dangereuse. Le discours tenu sur les relations femmes-hommes dans le film est très pessimiste ; si l’eau finit par arriver, les hommes du village n’y sont pour rien. Pire encore, ils ignorent les revendications de leurs femmes, allant jusqu’à les violer ou les battre devant leurs enfants, tout en les menaçant de les répudier et de les remplacer par de nouvelles compagnes. Cette violence à du sexe opposé est renforcée par la pénétration progressive d’un islam radical qui se présente comme une issue pour ces hommes sans travail.

S’il met au centre de sa narration la rupture sociale entre, d’un côté, les femmes et de l’autre, les hommes, le film évite toutefois l’écueil de la généralisation. Il rappelle à plusieurs égards, avec justesse, que certaines femmes peuvent être des obstacles à l’émancipation du genre tandis que des hommes savent se montrer à l’écoute et veulent bien relayer les luttes féminines et parfois féministes. Les lacunes du film résident plutôt dans sa volonté d’agglomérer en un temps réduit des problématiques aussi diverses que celles de l’accès à l’éducation, de l’eau en milieu aride, de l’amour et de la sexualité, de la condition des femmes, du chômage dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient, de la montée de l’islam radical, de la difficile compréhension entre les générations, du rapport à la politique et à l’État… Cette accumulation de thèmes affaiblit la trame narrative et disperse l’attention du spectateur, allant jusqu’à rendre certaines scènes inutiles car trop superficielles et rapides.

La source des femmes est un film très accessible, qui rappelle que le cinéma est un langage pouvant délivrer des messages politiques forts. Arme d’instruction massive, le septième art permet de faire venir à soi des réalités éloignées ou tues, et met ici en lumière l’universalité de la condition féminine et la nécessité de la lutte pour l’égalité des sexes, partout dans le monde. S’il reste encore bien du chemin à parcourir, Leila, Loubna, Rachida et leurs comparses finissent par atteindre leur but en unissant leurs efforts. Elles nous rappellent ainsi que la force collective est la clé de la réussite des luttes d’aujourd’hui et de demain.

Clément Dillenseger

5/5 (2)

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