Dans cette effusion médiatique post-second tour, Scotchés prend du recul et se penche sur la campagne présidentielle sur notre petit écran. En effet, aujourd’hui la télévision continue d’être un média de masse incontestable, et ce malgré la montée en puissance d’internet, comme en témoignent les audiences des deux débats de ce premier tour. Les téléspectateurs ne semblent donc pas déserter leur poste de télé en période électorale, qui apparaît donc comme un outil important pour choisir son candidat. Scotchés s’interroge sur comment le média télé aborde la campagne présidentielle. La télévision permet-elle réellement le débat d’idées ? Les émissions parviennent-elle à enrichir le débat ou ne font-elles que l’appauvrir ? Permettent-elles de mettre en lumière la position, les idées de chaque candidat ? Au contraire, sommes-nous finalement tombés dans l’ère du « cirque politique » ? Ou ne serait-ce pas tout cela à la fois ? Autant de questions se posent en analysant certaines émissions diffusées à l’occasion de ces présidentielles, pour notre plus grand plaisir… ou pas.

L’homme ou les idées ?

Etant donné le niveau de cette campagne, décrite par certains comme « la pire campagne présidentielle » qu’on ait connu, comment s’est positionnée notre télé ? « Les affaires » ayant monopolisé les discussions et ayant pris l’ascendant sur l’étude approfondie des programmes, la télévision a-t-elle réellement réussi à contribuer au débat d’idées ? En effet, depuis quelques années maintenant, la télé-réalité semble s’être élargie au champ du politique. Cette « télé-réalité du politique » s’est illustrée de manière très frontale avec la controversée Une ambition intime, qui a beaucoup agité le monde médiatique, et notamment les réseaux sociaux.

Dans cette émission, on s’intéresse plus à la personne qu’à ses idées, et c’est assumé. Karine Lemarchand, fidèle à sa posture dans L’Amour dans le pré, retrace au côté des candidats leur l’enfance, leurs premiers pas dans le monde politique, évoque leur famille, et décrit même parfois leur signe astrologique… Bref, on a l’impression de voir les portraits des nouveaux agriculteurs qui recherchent l’amour, mais ici la quête est tout autre… L’émission de M6 rappelle aussi les émissions de Frédéric Lopez comme notamment Une parenthèse inattendue, où le but est de créer une atmosphère cocooning, pour donner l’impression à l’invité qu’il est « comme à la maison », afin qu’il se sente assez à l’aise pour s’adonner à des confessions. Et c’est donc dans ces conditions que François Fillon raconte sa relation avec sa femme Pénélope, ou qu’il avoue adorer les vêtements, confessions qui deviendront beaucoup moins anodines pour la suite de sa campagne… Par ailleurs, c’est aussi dans cette émission que Jean-Luc Mélenchon évoque sa dépression après les présidentielles de 2002, ou sa passion pour Maria Callas. Quid des programmes dans tout ça ? Et bien pas grand-chose, et c’est assumé. Là où les autres émissions revendiquent leur volonté de ne parler que des idées et rien que des idées, Une ambition intime assume complétement d’occulter les programmes, pour se concentrer uniquement sur le parcours personnel des candidats. Et c’est en cela qu’elle est symptomatique de l’ère de la télé-réalité politique, où la personnalité et l’histoire des candidats deviennent plus importantes que leur programme. « Laissons tomber les idées et créons de l’émotion dans un secteur qui en semble dénué », telle est la position de ce programme, qui divertit (ou pas) plus qu’il n’informe, et qui se montre donc cohérent avec la ligne éditoriale de la sixième chaîne.

Si l’intime est assumé dans certaines émissions, il n’en est pas plus absent dans les autres, et apparait de manière plus diffuse. En effet, récemment dans l’émission 15 minutes pour convaincre sur France 2, chacun des onze candidats devait apporter un objet qu’il garderait dans son bureau présidentiel s’il était élu Président de la République. Là encore, même si la démarche se révèle plus symbolique qu’intime, elle témoigne aussi de cette personnification présente au sein de cette campagne. Autre exemple avec l’émission de C8 Candidats au tableau ! où quatre des onze candidats à la présidentielle se sont retrouvés interrogés par des enfants. Là encore, loin d’être superficielle, l’émission a naturellement versé dans le personnel, avec par exemple une question adressée à Emmanuel Macron au sujet de sa non paternité. Alors ce ne sont que des enfants me direz-vous ? Oui… et non puisque naturellement, afin de rôder au mieux l’émission, on suppose que les questions ne sont pas complétement spontanées, et sont certainement préparées en amont entre la production et les enfants. Là encore, laisser ce type de passage au montage montre la volonté de l’émission d’humaniser le candidat, et d’y insérer de l’intime, toutefois sans s’y limiter.

Divertir avant d’informer ?

Si le débat d’idées n’a pas été mis à l’honneur comme on a pu le voir précédemment, il s’agissait peut-être pour les émissions de divertir avant d’informer. A la fois chez les candidats et chez les journalistes ou présentateurs, il a parfois plus été question de « faire le show » que de parler du fond. Ce qu’il ne faut pas oublier c’est que nous sommes à la télé et que le but est aussi de divertir avant d’endormir le téléspectateur. Prenons L’Emission Politique, la référence du genre cette année. Très bien rôdée, l’émission de France 2 se divise en plusieurs temps : un échange avec Léa Salamé et David Pujadas sur les grandes lignes du programme, un magnéto avec le candidat auprès des Français, le décryptage du programme par François Lenglet, le face à face avec un invité inattendu, le débat « face aux Français » orchestré par Karim Rissouli, et la carte blanche de Charline Vanhoenacker. Vaste programme donc, qui malgré la volonté évidente de parler du fond et des idées, n’y parvient pas toujours. En effet, le rythme très soutenu de l’émission donne parfois la sensation de rester sur sa fin. Le chrono permanent qui pèse au-dessus de chaque séquence avorte le débat, avec une sensation de ne pas aller dans le fond des idées. Et c’est bien dommage ! Même si on salue cette volonté de dynamiser et de moderniser le débat politique, on regrette cette impression d’inabouti.

A l’inverse, On n’est pas couché, le talk-show orchestré par Laurent Ruquier, propose aux téléspectateurs un dialogue de fond. En consacrant 30 à 50 minutes d’émission aux candidats, l’émission a le mérite de « poser » le débat et de s’attaquer au fond. Dépendant naturellement de la pertinence des questions des chroniqueurs, le dialogue proposé dans On n’est pas couché met en avant le débat d’idées en essayant d’éviter le spectacle, pour réellement informer. L’émission qui s’est montrée la plus étonnante sur ce point, c’est Candidats au tableau ! qui a finalement offert une lecture intéressante des grandes lignes du programme de chaque candidat. En effet, ce dialogue à hauteur d’enfants a proposé une lecture simple et assez claire de certaines idées de quatre candidats. Le fait de se retrouver en face d’un auditoire si particulier pousse finalement les interrogés à éviter toute posture superficielle. La naïveté des interrogés a amené un peu de « pureté » dans cette campagne présidentielle, ce qui fait du bien. Et c’est sur une note plutôt positive que la campagne du premier tour s’est terminée avec les 15 minutes pour convaincre dédiées aux onze candidats sur France 2. En se limitant à un simple échange avec chaque candidat, le duo Salamé-Pujadas s’est montré beaucoup plus pertinent que dans leur Emission Politique.

Candidats en télé : tous égaux ?

Emissions intimes ou « purement » politiques ont ainsi émaillé la PAF, nous offrant une diversité non négligeable de programmes. Mais quels en étaient les invités ? Etaient-t-ils tous placés sur un pied d’égalité ? Tout le monde se souvient du coup de gueule de Nicolas Dupond-Aignant au JT de TF1, qui déplorait le manque de temps consacré aux « petits candidats » dans les médias, et notamment de l’éviction de six d’entre eux lors du débat du 20 mars. Malgré le contrôle du CSA, le média télévisuel accorde-t-il le même traitement pour chaque candidat ? L’exemple du premier débat diffusé sur TF1 est une preuve de cette inégalité de représentation. De même du côté du service public, avec L’Emission Politique qui n’a concerné que les cinq principaux candidats (nous ne tenons pas compte des primaires ici), ou du talk-show On n’est pas couché qui consacre 50 minutes pour « les grands » contre 30 minutes pour « les petits ». Cette dynamique qui consiste à accorder du temps de parole « au pro rata de l’importance du candidat » est assez étonnante venant du Service public, et a largement contribué à l’omniprésence des principaux candidats et de leurs affaires respectives sur le devant de la scène médiatique.

Télévision et interaction : entendons la voix du citoyen ?

La télévision est-elle porte-voix pour le citoyen ? A l’heure de l’explosion des réseaux sociaux où le citoyen peut faire entendre sa voix pour le meilleur et pour le pire, comment la télévision se positionne-t-elle dans cette dynamique d’interactivité ? L’Emission Politique est sans doute celle qui donne le plus la parole « aux Français » en offrant la possibilité à des anonymes d’interpeler les candidats sur des problèmes concrets les concernant. Cependant, la séquence s’est montrée très souvent décevante notamment en raison du choix des anonymes pas assez représentatifs de la majorité des citoyens. Mis à part dans ce programme et celui plus spécifiquement consacré aux enfants Français, la parole n’a été que peu donnée aux électeurs. La radio et la presse web se sont montrées plus pertinentes en la matière, tandis que la télévision a été la tribune quasi exclusive des candidats en lice.

« Et maintenant on va où ? »

Le spectacle ou le débat ? Et bien c’était un peu des deux pour cette campagne présidentielle télévisuelle. Plein de rebondissements, le feuilleton présidentiel de cette année n’a pas manqué de fougue. Face au sensationnalisme politique, le débat de fond a été franchement menacé mais pas occulté. Si la télévision, média de divertissement par excellence, succombe à la politique du spectacle, elle n’en est pas non plus complétement dénuée de fond. Et c’est dans cette dynamique qu’on espère voir notre petite lucarne élever le débat jusqu’au second tour.

Chloé Gavard

5/5 (3)

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