– Maysaloun Hamoud ; 2017 –

Le premier long-métrage de Maysaloun Hamoud s’ouvre sur une scène programmatique et métaphorique. Une jeune femme, muette, dont le corps est réduit à ses jambes en train d’être douloureusement épilées à la cire orientale, se voit sermonnée par une femme de sa famille : si elle veut que son mariage soit heureux, il faudra qu’elle se taise, offre son corps à son époux, et reste à la cuisine. Tout un programme.

Le point de départ du film est très simple : Nour, jeune femme très pieuse et fiancée à un homme pour le moins austère, fait irruption dans la colocation de Layla et Salma, deux amies partageant un appartement à Tel Aviv, dont le quotidien semble rythmé par les soirées branchées arrosées et les gueules de bois difficiles. Dans un style très réaliste portant une attention particulière au quotidien, le film révèle progressivement dans ces trois portraits mêlés la complexité d’être à la fois jeune et femme en Israël.

Le poids des traditions

Je danserai si je veux émet avant tout une critique acerbe du poids des traditions, héritées des cultures religieuses, qu’elles soient musulmanes, chrétiennes ou juives, et reposant sur un modèle archaïque des représentations du féminin et du masculin. Parents et aînés attendent ainsi des filles qu’elles deviennent des épouses douces et soumises, et des garçons qu’ils perpétuent la communauté par un mariage toujours plus ou moins arrangé.

Or, dans une société mondialisée, l’écart entre les attentes familiales et les désirs personnels de ces jeunes adultes les fige dans un immobilisme qui évince presque toute possibilité d’émancipation, voire de bonheur. Il faut dire que la réalisatrice n’y va pas de main morte, et ces trois portraits de femmes sont pour elle l’occasion de déboulonner les contradictions de la société israélienne. Les personnages de Maysaloun Hamoud sont ainsi autant en errance que leurs aînés sont campés à l’excès sur leurs positions que l’on peut facilement qualifier de rétrogrades.

Passage à l’âge adulte et émancipation

Les jeunes protagonistes de Je danserai si je veux mènent donc une vie schizophrène. La nuit, amis hétéro- ou homosexuels, femmes ou hommes, Juifs ou Arabes se retrouvent et se mélangent dans des endroits branchés de Tel Aviv, font la fête – jusqu’à l’écœurement –, fument, boivent ou se droguent, assumant une liberté certaine. Mais le jour venu et surtout chez leurs parents, ils semblent tout à coup, et par un saisissant effet de contraste, condamnés au silence ou au mensonge : pourtant adultes, ils sont en permanence infantilisés par leurs aînés et ballotés par l’existence au gré des injonctions familiales.

Pour autant, Layla, Salma et Nour résistent, refusant chacune à leur manière le carcan sexiste et / ou raciste qu’on leur impose ; et leur complicité grandissante ne fait qu’amplifier leur pouvoir de révolte – saluons au passage cet impeccable trio de femmes décidées, fortes et unies. Avec la complicité ou le soutien des autres, chacune devra en effet s’affranchir : Salma de sa famille afin d’assumer sa sexualité, Nour de son fiancé, tartuffe abusif ; et Layla de son amant incapable de la présenter à sa famille. Maysaloun Hamoud a choisi le prisme des rapports amoureux pour mettre en lumière, loin des clichés, la complexité et les contradictions contemporaines de la société israélienne, toute à la fois plurielle, multiculturelle, ouverte et gangrenée par les fractures religieuses. Sur une B.O. vraiment électrisante, la réalisatrice livre un beau film féministe, servi par une interprétation toute en finesse, qui passe haut la main le test de Bechdel…

Lucie Mollier

Pour aller + loin : https://www.franceinter.fr/emissions/l-heure-bleue/l-heure-bleue-18-avril-2017

http://www.courrierinternational.com/article/cinema-maysaloun-hamoud-je-voulais-que-mon-film-soit-un-miroir-de-la-societe-arabe

 

 

 

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