– Rayhana ; 2017 –

Alger, 1995. L’eau est revenue. De nombreuses femmes se retrouvent dans le hammam de Fatima, préservées des hommes le temps de quelques heures… La metteure en scène, autrice et comédienne Rayhana réalise son premier — et très réussi — long-métrage avec A mon âge je me cache encore pour fumer, tiré de la pièce éponyme qu’elle avait créée en 2011.

Vivre pendant la guerre civile

Les premières minutes précisent immédiatement le contexte politique du film : si l’essentiel se déroule dans le huis clos du hammam, la toile de fond est celle de la guerre civile algérienne qui oppose le gouvernement du pays à divers groupes islamistes depuis 1991. A mon âge… propose ainsi d’explorer, à travers leurs récits au gré des conversations et affrontements au sein du hammam, ce que peuvent vivre les femmes dans ce contexte très particulier.

Les femmes face à l’intégrisme religieux

Pour autant, la réalisatrice Rayhana ne propose pas une fresque historique, mais nous plonge dans l’ambiance protectrice du hammam, qui permet aux femmes de se ressourcer, pendant quelques heures, protégées du regard masculin. Cette zone de répit est pourtant constamment menacée, dans les faits par un homme qui veut y pénétrer pour tuer sa sœur « fille-mère » et, symboliquement, par le récit de ces femmes qui témoignent des violences qui leur sont infligées. Fillettes mariées de force, meurtres « d’honneur », attaques à l’acide et autres viols, rien ne leur est épargné… En plongeant dans l’intimité de ses héroïnes, la réalisatrice de À mon âge… livre un portrait poignant de l’Algérie des années 1990, « à hauteur de femme ».

Portrait de groupe

Rayhana brosse, en creux, le portait d’une société à la fois gangrenée par le fanatisme religieux et arc-boutée sur une vieille « tradition » de domination masculine ultra-violente. Le contraste entre cette violence relatée et la sororité réconfortante des femmes entre elles n’en est que plus saisissante : bien que certaines se détestent cordialement, elles semblent immédiatement se reconnaître comme femmes, condition qui implique une histoire et un vécu commun. Cette sororité passe principalement par le corps. En effet, en opposition au regard politiquement sexuel que portent ici les hommes sur le corps des femmes, la réalisatrice porte sur les corps de ses actrices au hammam un regard dénué de toute concupiscence, ou de tout fantasme. Des corps bien plutôt montrés dans ce qui pourrait être leur vérité.

A mon âge… est un film troublant, oscillant sans cesse entre réalisme et onirisme noir. Aussi nécessaire qu’éprouvant, il donne la parole à plusieurs générations de femmes grâce à un ingénieux huis clos, sublimé par une mise en scène haletante et presque chorégraphique. Un très beau film qui séduira particulièrement féministes et amateurs de cinéma social.

Lucie Mollier

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