-Ruben Ostlund ; 2017-
« Ceci n’est pas une Palme d’Or », nous prévient le carton à destination des spectateurs de l’avant-première parisienne de The Square. Plutôt ironique, cette imitation du tableau de Magritte, lorsque le réalisateur Ruben Ostlund débarque sur scène… avec la fameuse Palme dans les mains, tout en la faisant toucher au chanceux public du premier rang. Si on l’avait laissé faire, il l’aurait même laissée dans la salle pendant la projection : cette décision a provoqué l’ire de certains cinéphiles sur les réseaux sociaux, qui n’ont – apparemment – pas compris que la démarche du réalisateur s’inscrivait pleinement dans la continuité de celle de son film. The Square, c’est un carré. Bravo Captain Obvious, me direz-vous ! Or, ce carré se veut être un espace sécuritaire, dans lequel nous sommes tous égaux en droits et en devoirs, et où toute personne passant à proximité de ce carré se doit de venir en aide à la personne qui s’y trouve.
L’exposition The Square devient un tournant dans la carrière de Christian (Claes Bang), conservateur d’un musée d’art contemporain particulièrement renommé. Les valeurs qu’elle prône sont cependant mises en péril par les réactions mêmes de Christian, mais aussi par la campagne de communication autour de l’exposition, qui déstabilise le public. Le dérèglement est l’art de Ruben Ostlund, lui-même complètement déluré : casser les codes de bienséance s’avère essentiel dans The Square afin de révéler qu’ils ne sont que pure façade. Car la situation dépeinte dans le film a tout à voir avec notre société actuelle, représentée avec perfection dans tous ses travers et invraisemblances…
L’homme face à ses travers
À l’image de l’avalanche en ouverture de Snow Therapy, les premières images de The Square donnent à voir une statue – œuvre d’art – s’effondrer sous le regard d’ouvriers rivés sur leur smartphone. D’emblée, Ruben Ostlund capte l’un des maux de notre société : le besoin presque maladif de filmer dès que quelque chose d’inattendu se produit ou, au contraire, l’indifférence totale. Ça vous semble absurde ? C’est sûrement le cas. Ostlund n’a que faire de la subtilité et tourne en dérision bon nombre de situations quotidiennes, quitte à les rendre caricaturales. Le réalisateur prend un malin plaisir à torturer son personnage principal, Christian, ou du moins, à le confronter à ses propres défauts. De quoi provoquer le départ de certains spectateurs au cours de la séance, tant The Square peut parfois s’avérer éprouvant : par sa durée, le film durant un peu plus de deux heures trente, mais aussi par sa propension à accumuler les gags complètement absurdes qui s’étirent parfois jusqu’à provoquer… le malaise. Les scènes que Claes Bang partage avec l’actrice Elisabeth Moss (la resplendissante Offred de The Handmaid’s Tale dont nous vous avons beaucoup parlé ) apparaissent comme le point culminant de cette absurdie, au sens littéral comme figuré. Voir l’actrice débarquer en peignoir rouge après de bien étranges ébats fait définitivement sourire au regard de sa performance télévisuelle, pour laquelle elle a reçu un Emmy Award. Clin d’oeil direct ou malencontreux hasard ?
Malgré quelques passages à vide, Ostlund parvient toujours à relancer l’intérêt de son spectateur : révélations incongrues concernant ses personnages, retournements de situation, conséquences à long terme d’un acte qui semble opportun … Tout paraît se mettre en travers du chemin de Christian, dont le monde et les certitudes s’effondrent peu à peu. The Square déconstruit les valeurs de ce personnage, qui ne sont en fait qu’une façade. Le conservateur, issu d’un milieu plus qu’aisé, conducteur d’une voiture électrique (Nicolas Hulot aime ça), voit ses préjugés ressurgir. Le film d’Ostlund illustre ainsi parfaitement la manière dont bon nombre de pays occidentaux se renferment sur eux-mêmes à travers une division sociale de plus en plus marquée et une résurgence de la xénophobie. Comme finit par l’avouer Christian, ce n’est qu’une question de justice – telles sont les valeurs portées par l’exposition qu’il accueille. Après tout, ces personnages sont eux aussi prisonniers d’une forme géométrique : le cadre de la caméra. Là aussi, le rapprochement peut paraître simpliste, mais force est de constater que Christian ressort grandi de cette crise. Le regard de Ruben Ostlund, qui tend à universaliser son propos et à désacraliser sa récompense (non, le fait de ramener sa Palme en promotion n’est pas une preuve d’égocentrisme) est d’une vivacité et d’une pertinence sans égal.
Gabin Fontaine
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