ALTERED CARBON À RATS
Dans le futur, l’humanité est devenue théoriquement immortelle : il est en effet possible de télécharger son âme sur une pile, et donc de changer de corps à volonté, pour qui a les moyens de se payer une nouvelle « enveloppe », très coûteuse. Dans ce contexte, Takeshi Kovacs, ancien dissident ayant passé 250 ans « en suspension » (comprenez, sans corps et en prison), est réveillé dans un nouveau corps qui ne lui appartient pas. Son bienfaiteur est Laurens Bancroft, un homme ayant vécu plus de 300 ans et l’un des plus riches de la galaxie. Son enveloppe précédente est morte, et il a oublié les 48 heures précédant son décès. La police a conclu à un suicide mais Bancroft n’y croit pas. Il est persuadé que c’est un meurtre et demande à Takeshi Kovacs d’enquêter. Mais cette investigation aura des conséquences très lourdes pour tous ceux s’y trouvant impliqués…
On avait vu la super bande annonce, on était hypés, on a vu le pilote, on était douchés, on a tout regardé et on est blasés. Altered Carbon est une assez mauvaise série et en arriver à un tel bilan est très frustrant, tant ce genre de récit hard SF est rare (enfin, de moins en moins de nos jours) et tant les concepts et l’univers ont un fort potentiel.
S’il peut nous livrer une grande saga intelligente et nous questionner sur l’humanité, le temps, la mortalité, il peut aussi offrir un récit pulp sombre et fun dans ses archétypes de polar néo-noir néonneux poissard. Dommage, le résultat final est un échec cuisant sur les deux plans.
OHÉ, OHÉ CAPITAINE ABANDONNÉ ?
Avoir de bonnes idées ne suffit pas, il faut encore des techniciens capables de fournir un traitement qui fonctionne pour les mettre en images. En l’occurrence, le talent a totalement déserté les scénaristes et les réalisateurs d’Altered Carbon, qui devient une preuve par A+B que le plus fameux des trois mâts (fin comme un oiseau) ne vaudra jamais plus qu’un frêle esquif prêt à s’embrocher sur tous les icebergs s’il n’y a personne de compétent à la barre. Mais quelque part, c’est dans l’ordre des choses, la showrunner Laeta Kalogridis n’ayant participé qu’à des projets plus ou moins nanardeux. Scénariste de formation, à part l’excellent Shutter Island, son pedigree n’est qu’un enchaînement de scripts au mieux bancals, comme Alexandre, et au pire franchement désastreux, genre Terminator : Genisys, Pathfinder et aujourd’hui Altered Carbon.
On l’avait déjà dit dans notre critique du pilote, mais l’un des plus gros soucis de cette série Netflix, c’est que le moindre concept intéressant est sans cesse saboté par une réalisation complètement aux fraises, sacrifiant toute rigueur technique sur l’autel de l’effet de style chichiteux et des tours de passe-passe honteux, à base de montage incohérent, de transitions spatiales sans queue ni tête et d’utilisations abusives de la courte focale. Cette dernière est tellement omniprésente et fainéante (à part la baston dans l’ascenseur, où elle est pertinente et très réussie) qu’on se demande, une fois toute la saison 1 digérée, si tout l’argent n’a pas été mis dans le premier épisode (d’où elle est totalement absente), tant les rares scènes d’actions s’amollissent et le travail visuel sur les designs et la lumière s’effondrent une fois l’épisode 4 passé.
ALORS, C’EST VRAIMENT ÇA LE FUTUR ?
La direction artistique, gros point fort du pilote, suivra malheureusement le même destin, entre décors blancs et vides et costumes de mauvais goûts, jusqu’à nous ressortir les combi-cuirs déshabillées, les shuriken/katana et toute la panoplie du ninja du futur pour donner un semblant de personnalité à l’antagoniste de la série, sorte de cosplay pour riche de Kitana dans Mortal Kombat. Et on ne vous parle pas des coupes de cheveux du futuuuuur, à base de crêtes colorées et d’iroquois punk à peine moins ridicules que dans Double Dragon, ni même de la musique, souvent anecdotique, parfois complètement à côté de la plaque (On a rien contre The Kills, mais vraiment ? Deux fois de suite en plus ??).
L’écriture était le gros point faible du pilote, et si elle reste assez bas de gamme, force est d’admettre qu’Altered Carbon s’améliore tout de même de ce point de vue, malgré certains aphorismes mongoloïdes sur l’existence, une citation littérale complètement dévoyée et embarrassante de Nietzsche et une relecture pompeuse et pompière du mythe de Cronos dévorant ses enfants.
En gros, les dieux du temps sont les Maths (non, pas celles avec les chiffres, mais la caste d’humains ultra-riches pouvant se payer l’immortalité), aussi immoraux que la divinité grecque et qui ont vaincu la mort grâce l’argent. Les enfants étant les innocents comme les prostituées de La Tête Dans Les Nuages qui se font exploiter (= dévorer) par les Maths et leurs rapportent l’argent nécessaire pour rester maître du temps dont il dispose. Ne nous remerciez pas, c’est gratuit et ça nous a pris deux minutes.
On pourrait fermer les yeux sur ce symbolisme bac à sable si le récit suivait, mais il reste désespérément juste globalement convenable, malgré un épisode 7 incroyablement désastreux. Ce chapitre flash-back (toujours une bonne idée…), le plus long de la saison, se permet une grosse parenthèse explicative très décevante. On aurait pu se raccrocher à la bonne idée de changer de genre le temps d’un épisode pour rafraîchir un peu le récit (chose que fera un peu mieux l’épisode 8) mais on regrette bien vite la SF urbaine face à cette histoire de rébellion forestière à Yellowstone, nous rappelant douloureusement le pire de ce que peuvent faire les young adults aux romances pleureuses comme Hunger Games, d’autant que la photographie atteint ici son point le plus critique.
Cet épisode est d’autant plus gênant que la meneuse « charismatique » subit une double peine en ayant les pires punchlines de la série et en étant incarnée par Renée Elise Goldsberry, qui remporte haut la main la palme de plomb de pire actrice de la série et d’endive la plus racornie, supplantant le numéro de flic latino vénère avec un accent à couper au couteau de Martha Higareda.
JOEL KINN(G)AMAN
Cependant, si au vu du simple pilote d’Altered Carbon on craignait le pire pour l’écriture des personnages, et malgré une réalisation et des dialogues atroces qui les desservent totalement, on reconnaît très volontiers qu’ils sont globalement en fait plutôt réussis et nuancés, même Kristin Ortega (grâce à sa scène très réussie avec sa grand mère). Leung (Trieu Tran, impeccable) est un très curieux et fascinant antagoniste secondaire flippant tandis que l’intelligence artificielle Poe (Chris Conner, délicieux) apporte un vent de légèreté et d’humour pince-sans-rire très bienvenu au milieu de ce concours de sourcils froncés.
Mais notre plus grande satisfaction reste le protagoniste Takeshi Kovacs. On émettait de grosses réserves devant le pilote, mais c’est bien simple, Joel Kinnaman est parfait. Sa prestation est tellement bonne qu’il est très grisant de le voir parfois porter à bout de bras voire sauver seul des scènes entières. Son incarnation habitée, complexe et nuancée, est la seule chose qui nous raccroche et nous fait nous intéresser au destin et aux sentiments contradictoires de Takeshi Kovacs.
ALTERED ARRABIATA
Certes, la série pique un peu dans la bouche mais passés tous ces problèmes, Altered Carbon n’est pas une purge totale et tient malgré tout curieusement sur ses jambes grâce à ses bonnes idées et une poignée de scènes sympathiques. Pour passer un bon moment, il faut tout de même accepter au préalable qu’il n’y a rien à attendre de la réalisation bourrée de tics, convenue et sans inspiration et de l’intrigue ni bonne ni mauvaise, juste oubliable. Difficile cependant de ne pas faire la grimace devant la constatation que le potentiel immense de la série Netflix n’aura accouché que d’une série B regardable mais à peine potable. Malgré toute la sympathie que nous inspire Joel Kinnaman/Takeshi Kovacs, les 10 heures passées en sa compagnie semblent très chères payées une fois que l’on se rend compte que le meilleur épisode d’Altered Carbon est le clip de Turbo Killer de Carpenter Brut.
Lino Cassinat
Comments by Lino Cassinat