– Lucas Belveaux ; 2017 –
Pauline Duhez – interprétée brillamment par Emilie Dequenne – est infirmière à Hénart, ville située entre Lille et Lens. Élevant seule ses deux enfants, elle consacre son temps aux autres, que ce soit ses patients ou son père, un ancien ouvrier veuf communiste, à la santé déclinante. Confrontée jour après jour à la misère sociale régnant dans sa ville, elle se voit proposer par Philippe Berthier (André Dussolier), un médecin ex-député européen, de s’engager lors des élections municipales en tant que tête de liste du parti nationaliste dont l’audience et les résultats électoraux ne font que croître. Pauline Duhez se retrouve alors embarquée dans une série d’événements qui changeront radicalement sa vie et ses rapports avec son entourage, y compris les êtres qui lui sont les plus chers.
Avec Chez nous, le réalisateur belge Lucas Belveaux signe un film résolument militant traitant du Front national. Les références au parti lepéniste ne pourraient être plus claires. On parle dans le film d’un parti – le Bloc patriotique – dont la dirigeante, Agnès Dorgelle (Catherine Jacob), fille du fondateur – ça ne vous dit rien ?! -, cherche à adoucir l’image par la création à des fins électorales d’un Rassemblement national populaire (RNP) – toute ressemblance avec le Rassemblement Bleu Marine est loin d’être fortuite. La ville elle-même, Hénart, ne laisse que peu de doute quant à sa représentation d’Hénin-Beaumont, commune-témoin s’il en est de la mise en place des politiques frontistes. Même le DPS, service d’ordre et de renseignement interne du Front national, fait une apparition sous les traits du SRP (Service de Renseignement et de Protection).
Chez nous retranscrit assez fidèlement les rouages de la propagation d’une pensée nationaliste et populiste, montrant la capacité d’adaptation des discours des dirigeants du Bloc patriotique face à l’évolution de leurs interlocuteurs. Ce discours se nourrit des haines, des rancœurs et des divisions préexistantes, tout en en nourrissant d’autres. En effet, en rejetant l’autre, l’interlocuteur devient cible de la haine de ce dernier, créant un cercle vicieux a priori inextricable. Les différents vecteurs de dissémination de l’idéologie nationaliste sont mis en avant : ici la colère liée à un fait divers savamment exploité à des fins électoralistes, là, la présence – l’omniprésence ? – médiatique de personnalités comme Eric Zemmour, ou encore le mélange détonnant complotisme/anti-islamisme…
La nécessité pour le parti de se racheter une image plus propre, moins radicale, la fameuse « dédiabolisation » est aussi très présente dans le film. Outre la création d’un Rassemblement national populaire dans un but de se refaire une virginité électorale et médiatique, le Bloc patriotique cherche par tous les moyens d’adoucir l’image que renvoient ses militants, n’hésitant pas à leur expliquer très clairement comment masquer les remarques racistes sous des sous-entendus passe-partout. Mais le côté cosmétique de ces transformations est souligné par la porosité du parti avec les identitaires lui gravitant autour, dont la radicalité et la violence ne sont nullement dissimulées par le réalisateur.
Le parti apparait aussi dans son fonctionnement comme étant absolument intégré au système politique, maitrisant tous les codes d’une campagne électorale. Du programme préparé par la direction nationale et seulement légèrement adapté aux candidats locaux, à la spécialiste de la communication appelée en renfort pour cornaquer les candidats inexpérimentés, on observe à quel point ce parti sait tirer les ficelles du jeu politique. De plus, en passant par le rôle prépondérant des notables et énarques dans l’organisation d’un mouvement censé représenter le peuple face aux élites, rien dans l’organisation ne diffère en réalité fondamentalement de celle de la plupart des partis contre lesquels s’élève le Bloc patriotique.
Si ce travail descriptif est plutôt réussi, le film de Lucas Belveaux n’évite pas l’écueil de la caricature. Certains personnages manquent de profondeur, à l’image de la présidente du parti Agnès Dorgelle, dont le personnage est relativement fade et dont le discours parait parfois trop mécanique, en particulier lors d’une scène de meeting à l’ambiance bien trop factice.
L’artifice scénaristique de l’histoire d’amour en plein cœur de l’histoire politique est certes probablement nécessaire d’un point de vue cinématographique, mais il détourne parfois un peu le propos, soulignant le décalage avec la réalité produit par le film, bien que le réalisateur tente de la reproduire fidèlement.
Malgré ses lacunes liées à un excès d’engagement politique et à une nécessité scénaristique, Chez nous reste un film à voir, en particulier en cette période électorale. Outre une retranscription assez fidèle du mode de propagation des idées d’un parti populiste et nationaliste, il montre aussi en creux la façon dont le mépris avec lequel les électeurs – effectifs ou potentiels – de ce parti se sentent parfois traités, par les médias ou les élites politiques, ne fait que renforcer son assise électorale.
David Bolton
Comments by David Bolton