– Laurent Cantet : 2017 –

Réalisateur d’Entre les murs, film qui se penchait sur l’éducation dans une classe difficile, Laurent Cantet revient avec L’Atelier, œuvre qui traite elle aussi de la jeunesse et de ses tourments. Pour l’épauler, la talentueuse Marina Foïs incarne une écrivaine de renom en charge d’un atelier d’écriture pour jeunes déclassés, auteure qui se trouvera confrontée à des problématiques à la fois personnelles et sociétales dont la proportion dépasse ses prévisions premières.

Filmé à La Ciotat, L’Atelier se penche sur le cours d’écriture donné par une écrivaine à des jeunes habitants de la ville en situation de décrochage scolaire. Cet exercice se base sur une série de réunions portées sur le débat, Olivia (Marina Foïs) encourageant ses élèves à échanger leurs idées et à construire ensemble l’intrigue de leur futur roman noir. Ces rendez-vous quotidiens permettent aux participants d’enrichir leurs connaissances en littérature et de développer leurs propres compétences rédactionnelles. Ils donnent également lieu à des discussions navigant entre sérieux  voire gravité et humour, chacun y allant de sa patte en termes de punchlines. Ces séquences d’échange offrent aux acteurs, tous novices, l’occasion d’approfondir leur personnage et de tisser un lien avec le public. Mamadou Doumbia, Issam Talbi ou encore Warda Rammach, que l’on peut rapprocher de l’actrice Oulaya Amamra de Divines, s’affirment ainsi avec justesse dans ces séquences de groupe. Au cœur de débats souvent houleux se trouve Antoine, incarné par le prometteur Matthieu Lucci, élément mystérieux et inquiétant de ces ateliers pour lequel Olivia développe un intérêt qu’elle peine à dissimuler.

Prenant sa base sur ces réunions journalières, la problématique de la radicalisation représente un filigrane dans le dernier film de Laurent Cantet. Jeune homme taiseux aux fréquentations douteuses, Antoine s’enlise dans des discours haineux proférés par des figures de l’extrême droite. Attiré par la violence, représentée ici par de multiples vidéos liées à l’armée, les jeux vidéo ou encore la politique, l’adolescent semble constamment vivre en marge. En marge de sa famille à qui il parle peu, de son groupe d’amis autour duquel il semble graviter et de celui de l’atelier contre lequel il se heurte constamment. C’est à partir de la littérature que Laurent Cantet distille le poison de la radicalisation, traduisant le penchant pour la violence du jeune homme dans ses textes sanglants et excessifs. Une tendance destructrice qui captivera immédiatement Olivia, personnage ambivalent auquel Marina Foïs confère toute sa profondeur. Une femme d’expérience qui, à travers sa relation ambiguë avec Antoine, nous permettra de découvrir plus amplement cet adolescent secret et menaçant.

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Les échanges entre les deux personnages, suivant une pente ascendante jusqu’à atteindre un point de non-retour, apparaissent également comme la mise en action de l’ouvrage créé par ces jeunes auteurs. Basée sur un meurtre, cette intrigue de roman noir prend place dans le quotidien même des adolescents, le port industriel étant devenu le décor parfait des sombres desseins de leurs protagonistes. Explorée par la caméra attentive de Cantet, La Ciotat se révèle, entre barres d’immeubles, port de plaisance, industriel et calanques idylliques. Des promontoires rocheux dont la symbolique – la liberté, l’envol voire la mort – ne peuvent qu’évoquer les mêmes décors naturels filmés par la caméra de Dominique Cabrera dans Corniche Kennedy. Au fil des débats, œuvres littéraire et filmique s’entremêlent, L’Atelier jouant avec cette mise en abyme jusqu’à y plonger dramatiquement Olivia et Antoine. Dans une scène cathartique prenante, les deux personnages semblent tout droit tirés de l’ouvrage qu’ils ont travaillé à créer ensemble, cette séquence usant de tous les codes du roman noir. Situations temporelle et spatiale, suspense, drame sont autant d’éléments combinés avec soin par le réalisateur et qui font se confondre différents niveaux de réalité. Temps du roman, temps du réel, temps du film sont autant de strates avec lesquelles Cantet joue allègrement, offrant ainsi un long-métrage très intéressant du point de vue narratif.

Porté par les performances impeccables de Marina Foïs et Matthieu Lucci, L’Atelier s’appuie également sur une solide base de seconds rôles. Incarnés par des comédiens novices, ces personnages convainquent en raison de leur naturel et de leur justesse qui rendent l’intrigue du film d’autant plus crédible. Souffrant de quelques longueurs, l’œuvre se perd parfois dans un développement un peu hésitant de la relation Olivia-Antoine qui se voit toutefois offrir un dénouement salvateur. Traitant de problématiques cruciales telles que la radicalisation, le racisme mais aussi la jeunesse et ses nombreuses richesses ; le dernier long-métrage de Laurent Cantet apparaît comme un bon moment de cinéma mêlant habilement drame et comédie.

Camille Muller

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