-Christian Petzold ; 2018-

Marseille, à l’époque contemporaine. Les autorités fascistes du pays traquent les Juifs et autres indésirables, enchaînant les purges dans une France divisée entre occupation et zone libre. Dans ce pays fragmenté, Marseille apparaît comme un refuge, maison des ambassades et promesse de lendemains plus heureux. Parmi les migrants Georg, un Allemand traqué, usurpe sans le vouloir l’identité d’un écrivain suicidé suite à la lettre de rupture de sa femme Marie. Cette dernière, prise de remord et se rappelant son amour, ne cessera de chercher son amant disparu dans les rues de Marseille. De ses errances naîtra une idylle avec l’Allemand qui porte désormais le nom de Weidel et ses papiers, un visa miraculeux lui permettant d’emmener Marie avec lui au Mexique, loin de l’oppression et d’une mort assurée. Un échappatoire qui sera mis à mal par la volonté inébranlable de la jeune femme de retrouver celui qu’elle aime.

Même si elle embrasse parfaitement son sujet et titre, Transit n’est pas œuvre de vitesse et de changements précipités. Film posé, réfléchi et bien construit, ce long-métrage signé Christian Petzold nous plonge immédiatement au cœur de son propos : la fuite de deux hommes traqués, obligés de quitter la capitale sous peine de mort. L’un d’eux, Georg, est le héros tragique de ce récit éclaté, lui qui se verra confier une mission qui bouleversera sa vie à tout jamais. Lié par erreur à l’identité d’un écrivain célèbre et pourtant disparu, le jeune homme s’attachera à divers destins pendant son séjour – au départ temporaire – dans la ville de Marseille. Un lieu de transit qui fait se mêler de nombreuses trajectoires, de la famille détruite par la mort d’un père à l’amie fidèle mais rongée par le désespoir en passant par l’amante éperdue en quête de celui qu’elle aime. Face à ce qu’on peut qualifier de « pièce de théâtre », tant les lieux, personnages et situations du récit se font écho tout au long de l’œuvre, un narrateur omniscient décrit en voix-off ces événements d’un quotidien devenu banal mais toujours aussi sombre. Un homme devenu le confident de Georg, homme aux multiples facettes pris dans cette spirale d’histoires personnelles auxquelles il se retrouve mêlé, bon gré mal gré. Une voix qui crée un décalage intéressant entre image et texte, ajoutant ou enlevant à force d’ellipses matière à ce qui nous est montré. Des ajouts ou manquements qui ne peuvent que rappeler l’acte d’écriture lui-même, soumis à la volonté d’exactitude ou d’effacement de celui qui la tient de sa plume.  Notons par ailleurs que ce caractère théâtral est également visible dans des répliques combinant désespoir et sens de l’absurde, créant des scènes humoristiques inattendues dans ce film à la gravité indéniable.
Une œuvre marquée par ses fluctuations qui nous font voir des antagonismes lancinants, telles que la vie et la mort, le départ et le sur-place. Des fluctuations qui concernent même l’identité des protagonistes, eux qui cherchent perpétuellement à enfiler des masques pour se protéger voire manipuler, à l’image de la fragile Marie. Autant de changements qui rythment l’œuvre sans pour autant la brusquer, elle dont la lenteur frustre parfois, pourtant si cohérente dans l’enchaînement des évènements qu’elle amène.

Les Films du Losange

Cette lenteur démontre également toute la délicatesse du metteur en scène envers ses personnages, sa volonté de dépeindre avec douceur et sensibilité les protagonistes qu’il construit saynète par saynète. Un amour de ses héros que l’on peut observer dans les plans serrés qu’il utilise pour les capturer, lui qui cadre au plus près ces êtres aux abois. Des hommes, femmes et enfants baignés dans la chaude lumière du Sud, eux dont le teint hâlé par le soleil ne saurait cacher les traces d’épuisement et de tristesse. Parmi ces visages, celui de Georg est placé au cœur du récit. Principal protagoniste de cette fresque de migrants, cet Allemand subit malgré lui sa nouvelle identité, lui qui tombe amoureux – par culpabilité et désespoir certainement – de l’intrigante Marie. Une femme qui le conduira à sa perte, elle qui est omnibulée par son mari disparu et qui passera par toutes les ruses pour se rapprocher de lui. Quitte à manipuler deux hommes éperdument amoureux d’elle et à les lâcher ensuite à sa guise, persuadée qu’elle arrivera à retrouver son amant. Georg, lui, subit, encaisse les coups et tente de réparer ses fautes, qu’il s’agisse du jeune Driss qui cherche à combler l’absence d’un père ou de son rival Richard qui veut emmener Marie loin de la zone occupée, vers le Mexique où tout semble possible. Franz Rogowski se montre brillant dans ce rôle tragique, lui dont on avait pu observer le talent criant dans le dernier film de Michael Haneke, Happy End. À ses côtés Paula Beer prouve encore une fois sa qualité de révélation depuis Franz, elle qui confirme sa capacité à jouer des rôles ambivalents et intrigants. À la fois pathétique et détestable, son héroïne confère une note toute particulière à l’histoire d’amour que dépeint Petzold dans cette tragédie moderne, personnage insondable qu’aucun homme n’arrive à saisir. Une femme devenue spectre avant l’heure, elle qui arpente sans relâche les rues de la ville en quête de l’être aimé, sans succès. Un spectre qui, comme tant d’autres, hante ce récit, thématique chère au metteur en scène de Phoenix qui ne cesse de revisiter les pans douloureux de notre Histoire. Des fantômes fatigués, déchirés et minés par la solitude, révélés par l’œil amoureux du cinéaste.

Les Films du Losange

Malgré un rebondissement final assez décevant et facile, Transit est une œuvre pleine de poésie dont on savoure le rythme, parfois trop lent certes, mais travaillé et cohérent. Particulièrement en phase avec son sujet, ce long-métrage signé Christian Petzold revient brillamment sur une thématique chère à l’auteur que sont les êtres qui nous hantent, réellement disparus ou « simplement » absents au réel.

Camille Muller

3/5 (1)

Et si vous nous donniez votre avis ?