-Serge Bozon ; 2017-

Librement inspiré du roman L’Étrange Cas du Dr. Jekyll et M. Hyde, Madame Hyde nous plonge dans le quotidien de Madame Géquil, professeure de chimie dans un lycée technique. Une femme renfermée et apeurée qui a bien du mal à faire face à ses élèves de cité qui ne cessent de la singer, elle qui attend avec crainte la visite prochaine d’un inspecteur de l’Éducation nationale. Par un soir d’orage, l’enseignante tentera de trouver le chaînon manquant d’une mystérieuse équation, ses manipulations électriques la conduisant au bord de la mort. Rescapée de cet accident, c’est irrémédiablement changée que Madame Géquil sortira de son local, oscillant entre deux personnalités dont la plus sombre se fait appeler Madame Hyde.

À l’image de son héroïne, Madame Hyde ne cesse de basculer, entre comique de l’absurde et sombre mélancolie. Un humour qui ponctue presque chaque saynète de l’œuvre et qui nous fait savourer des instants complètement loufoques, portés bien souvent par le duo Huppert-Duris. L’acteur se montre ici irréprochable dans ce rôle de principal mégalo et maladroit, scandant des discours sans queue ni tête à ses diverses assemblées médusées. Ses dialogues avec la grande Isabelle Huppert, dont on ne souligne plus la parfaite exécution, donnent lieu à des scènes d’un humour absurde et grinçant qui n’enlèvent en rien sa noirceur au récit. Car Madame Hyde sait également se montrer hautement mélancolique, à l’image du mari de l’héroïne (José Garcia), plongé dans l’incompréhension suite au brusque changement de personnalité dont fait montre son épouse. À la fois séduit et perdu, cet homme s’égare dans une lente et irrémédiable descente aux enfers, abandonné par le double maléfique de celle qui hante ses rêves comme ses cauchemars. En oscillant sans cesse entre comique et tragique, l’œuvre de Serge Bozon nous installe dans le même état d’inquiétude que le personnage interprété par José Garcia, nous qui quittons la salle le vague à l’âme, déboussolés.

Haut et court

Cette œuvre complexe et volatile mélange les genres, entre film social, drame et fantastique, brouille les frontières du septième art. Parfois trop longuette ou insistante, elle n’en demeure pas moins un très bel essai sur l’enseignement et ses divers représentants. Qu’il s’agisse de Madame Géquil ou de son stagiaire, le public assiste à la naissance certes difficile et cruelle mais également lumineuse de deux professeurs de lycée. Domptant progressivement une assemblée incontrôlable parce qu’incomprise, l’enseignante séduit en raison de sa témérité et de son endurance. Sa relation avec le jeune Malik se montre par ailleurs des plus touchantes, bien qu’elle aussi pleine de complexité et de pans d’ombre. Adda Senani campe avec brio ce jeune perturbateur pourtant avide de connaissances, qui finira par payer pour sa curiosité, triste victime de ce conte cruel. Bel hommage aux enseignants, Madame Hyde est bien évidemment aussi une fable sur le combat constant entre le Bien et le Mal présents en chaque être. Madame Géquil se rendra d’elle-même pour expier ses fautes, elle que l’on quittera sous son vrai visage alors qu’en elle se débattait Hyde, à l’image de Jekyll dans l’œuvre originelle de Robert Louis Stevenson.

Haut et court

Originale, drôle, attachante, perturbante, Madame Hyde ne laisse pas indifférent en raison notamment de sa conclusion brutale et dérangeante. La mise en lumière d’un destin tragique mais aussi, paradoxalement, de l’éclosion d’une vocation portée vers la connaissance.

Camille Muller

5/5 (1)

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